« Je me suis engagé à ce que la cause du quinquennat soit celle de l'égalité entre les femmes et les hommes ». Tels furent les termes de l’engagement du président Emmanuel Macron lors de son discours à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes le 25 novembre 2017.
Le Lundi 6 juillet 2020 dans le cadre de la nomination du gouvernement Castex I formé par le nouveau premier ministre Jean Castex, Gérald Darmanin, âgé d’à peine 37 ans mais dont la loyauté et la réputation de « bosseur » ont fait balanciers, est nommé en succession de Christophe Castaner au ministère de l’intérieur, qui est parmi, si ce n’est le plus prestigieux, de la Vème république.
Cette nomination marqua le début du calvaire de l’exécutif, au pied duquel était scellé ce que d’aucun appelleront « le boulet Darmanin ». Le nouveau locataire de l’Hôtel Beauvau, a en effet été, mis en cause en 2017 par une femme (Sophie Patterson-Spatz) pour viol, abus de confiance et harcèlement sexuel, commis à son encontre en 2009. Classée sans suite dans un premier temps, la procédure a été relancée par la cour d’appel de Paris, qui a demandé début juin de nouvelles investigations. Depuis 2017, trois décisions ont été rendues, toutes dans le même sens. Deux enquêtes préliminaires ont été classées sans suite et un non-lieu a été rendu par deux juges d’instructions. Mais cette nomination soulève plusieurs interrogations. Comment le président Macron et a fortiori l’exécutif, peut-il assurer sa promesse de l’égalité entre les femmes et les hommes comme cause principale du quinquennat, face à la contestation portée par les associations féministes, accusant ce remaniement de « remaniement de la honte » au travers de la nomination de Darmanin à l’intérieur et Dupont Moretti à la justice, dénonçant « la culture du viol en marche ». Mais aussi et surtout se pose la terrible question de la présomption d’innocence. Quelle est cette présomption, par qui elle est respectée et pourquoi elle semble dévoyée.
La présomption d’innocence est une règle de procédure juridique inscrite au chapitre préliminaire du code de procédure pénale « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie ». Cela signifie que tout individu bénéficie du droit d’être présumé innocent tant qu’il n’a pas été condamné définitivement par un tribunal judiciaire. La présomption d’innocence est garantie par la loi du 15 juin 2000, ainsi que l’art 9 de la DDHC (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen) de 1789, et l’art 6 de la CEDH (Convention Européenne des Droits de l’Homme), mettant en exergue une protection par des normes tant nationales que supranationales et soulignant in fine le caractère quasi « sacré » de ce droit du pacte républicain ; la liberté de n’être condamné que par un tribunal judicaire. La présomption d’innocence s’applique aussi bien à un homme politique accusé de détournements de fonds comme Cahuzac, qu’à un preneur d’otage comme Florent Bianchi. Aussi stupéfiant que cela puisse paraître, tout individu, même s’il avait été filmé en train de commettre une infraction, un délit ou un crime, est présumé innocent aux yeux du droit tant qu’il n’a pas été condamné par l’autorité judiciaire à l’issue d’un procès. Ainsi par exemple, lorsqu’un criminel supposé décède, la présomption d’innocence juridique est complexifiée, car sans procès, il sera toujours, d’un certain point de vue juridique, considéré comme présumé innocent de ses actes.
Il faut distinguer la présomption d’innocence juridique, la règle de procédure pénale dont toute personne bénéficie, de la présomption de culpabilité politique, qui tend à condamner l’individu sans jugement, renforcée en cela par l’opinion publique. La présomption d’innocence juridique est en effet contestée par la présomption de culpabilité politique. C’est le cas pour les personnalités les plus importantes. De Balkany à Cahuzac en passant par Mitterrand, l’opinion publique les condamne, les privant de leur présomption d’innocence juridique, se substituant ainsi aux juridictions judiciaires. C’est ainsi que tout ministre qui est mis en examen, depuis la jurisprudence politique Balladur Bérégovoy (née en 1992, lorsque Bernard Tapie, alors ministre de la ville, mis en cause dans l'affaire Toshiba, avait été obligé de démissionner par le premier ministre Bérégovoy) est contraint de démissionner, le condamnant politiquement, faisant fi de la présomption d’innocence juridique, dont il bénéficie pourtant toujours. Cela amène à considérer une notion particulière, celle du secret de l’enquête. Dans tout dossier, il est interdit de communiquer sur l’enquête, tant que cette dernière n’est pas achevée. Or aujourd’hui le secret de l’enquête est bafoué pour les personnes les plus importantes, politiques, banquiers, acteurs, au nom du droit à l’information, garanti par l’art 10 de la CEDH. La remise en cause de la règle procédurale qu’est la présomption d’innocence pourrait être réglée si on revenait à une application stricte des textes, en préservant le secret de l’enquête. Cependant une telle idée ne saurait être retenue aujourd’hui.
Dans l’affaire Darmanin, la présomption d’innocence est directement bafouée par l’opinion publique faisant prévaloir la présomption de culpabilité politique. Dans chacun de ses déplacements, Gérald Darmanin est accueilli par des comités de féministes demandant son départ du gouvernement, insistant sur « un virage antiféministe » de l’exécutif, scandant les slogans « violeurs en prison, pas au gouvernement ou « bienvenu au ministère du viol ». L’un des derniers exemples en date est celui du samedi 18 juillet lorsqu’il s’est rendu au chevet de la cathédrale de Nantes victime d’un incendie survenu vers 7H30 le même jour, où un comité de féministes scandait « Cathédrale en feu ! Darmanin au milieu ». Mais si la société civile au travers des féministes se soulève, c’est aussi dans le monde politique que des figures de l’opposition prennent la parole pour condamner une telle nomination. Dans le Monde, Rachida Dati, ancienne Garde des Sceaux, déplore « qu’une suspicion de viol, de harcèlement et d’abus de confiance ne soit pas un obstacle pour diriger le pays ». La sénatrice PS de l’Oise Laurence Rossignol considère que Gérald Darmanin n’a pas sa place à l’Intérieur. La présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse déplore « une marque de mépris pour toutes les victimes ». L’un des plus grands coups portés à l’exécutif est celui d’une tribune d’un collectif de 91 femmes issues de 35 pays différents dénonçant ce virage antiféministe paru dans le Monde du 15 juillet (1). Cette tribune pointe du doigt Emmanuel Macron qui considérait la cause de l’égalité homme-femme comme grande cause de son quinquennat. Toujours selon les dires du collectif, cette nomination dans le cadre du «remaniement ministériel de la honte» est considérée comme l’expression supplémentaire «de la recrudescence des attaques dont (les femmes) font l’objet partout dans le monde», «méprisant l’héritage d’Olympes de Gouges, de Simone Veil, Simone de Beauvoir… et le combat vigoureux de tant de féministes contemporaines», jetant «le discrédit sur les victimes de violences sexistes ou sexuelles», constituant un «affront aux victimes de violences, aux défenseurs des droits des femmes…».
Devant le tribunal populaire se substituant de fait, aux juridictions de l’autorité judiciaire, l’exécutif épaulé par sa majorité, assure de son soutien Gérald Darmanin. Le 14 juillet Emmanuel Macron a affiché son soutien au nom du respect de la présomption d’innocence. De son côté Jean Castex «assume totalement» son choix, dénonçant le 16 juillet des «dérives inadmissibles» dans les critiques formulées. En plus du soutien de l’exécutif, le 15 juillet, 167 parlementaires ont fait paraître une tribune dans le Monde pour dénoncer l’engrenage actuel. « La vindicte populaire n’est pas la justice… seule l’institution judiciaire peut dire qui est coupable » rappelle le collectif de parlementaires, avant d’ajouter que la liberté (le droit à la présomption d’innocence) est au même titre que l’égalité (femmes-hommes) protégée par la Constitution. Ces deux piliers du « pacte républicain » ne doivent pas s’opposer mais aller de paire pour lutter contre « la culture du viol et les stéréotypes de genres ».
Cette défense du politique s’inscrit dans le second aspect de la présomption d’innocence. Celui de l’aspect politique et non celui de la règle procédurale. Jamais un rétropédalage de l’exécutif ne serait envisageable. Cela serait l’aveu d’une erreur, la démonstration « qu’une simple plainte suffit pour déstabiliser n’importe quel gouvernement » comme le souligne la porte-parole de LRM Aurore Bergé, mais surtout serait l’aveu que Darmanin est coupable aux yeux du président, et a fortiori l’exécutif. Dans le cas de sa mise en examen, Gérald Darmanin devrait-il démissionner, à l’instar des ministres du Modem du gouvernement Philippe ?
Aucun consensus entre les revendications des collectifs féministes et l’exécutif ne saurait être trouvé. Dans ce bras de fer politique entre le pouvoir et le féminisme, seule « la justice devant voir la cause et pas l’homme » peut marquer le terme d’un match où les deux protagonistes se battront jusqu’à la fin. En effet personne n’a le droit de se faire juge et de condamner sans être au fait de tous les éléments. Ils sont achevés les temps où le peuple était un tribunal, et préférait sa raison personnelle au Droit. Mais prendre le risque de faire fi de l’épée de Damoclès, planant au-dessus de l’ancien ministre du budget, c’est pour l’exécutif une roulette russe, un coup de poker, qui peut s’avérer gravement handicapant pour le reste du quinquennat et dans l’optique des présidentielles de 2022, avec la perte de l’électorat féminin/féministe.
Mais ne seraient-ce pas les politiques qui, en acceptant de démissionner ou de se mettre en retrait, ont été les premiers fossoyeurs de la présomption d’innocence, en érigeant la présomption de culpabilité politique en règle cardinale du procès médiatique ?
Antoine Bourrette
1. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/15/le-remaniement-gouvernemental-discredite-les-ambitions-francaises-de-promotion-des-droits-des-femmes_6046200_3232.html
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