
« Un homme qui se noie s’attachera à une paille » disait Samuel Richardson, romancier anglais. Dans une transposition virevoltante, l’homme désespéré s’accrochant à une bride d’espoir serait-il alors assimilable à la gauche, une gauche des temps modernes, qui s’accrocherait à une paille, l’écologie, tout en espérant qu’elle se transforme en tronc. Le rapport entre la gauche et l’écologie, désormais indiscutable, ne fut pas de tout temps acquis. Il suffit de regarder un des régimes les plus à gauche ayant existé pour s’en rendre compte. Le soviétisme stalinien, dans ses rêves de puissance économique et industrielle, traita l'environnement avec un mépris n'étant pas sans rappeler son dédain des droits de l'homme. En effet, dès 1928/1929, on évoquait les origines bourgeoises des quelques écologistes primitifs, afin d’affaiblir leurs positions politiques. Le plan quinquennal qui prévoyait 550.000 prises pour un million de phoques, l’objectif d’augmenter de 60% l’exploitation des forêts ou encore la Pravda qui publia un texte accusant les écologistes de vouloir sauver la nature du plan quinquennal en sont des illustrations très claires.
A la grande époque des Internationales, l'environnement représentait, aussi bien pour les libéraux que pour les socialistes, une vaste réserve de ressources et de territoires à exploiter, en sous sol comme sur terre ? Pour la gauche, l’exploitation des ressources permettait richesse et prospérité, nécessaires pour mettre fin à la lutte des classes. Comme le disait Jaurès, « le premier des droits de l’homme, c’est la liberté du travail », la liberté d’exploiter la terre ou les mines. Cependant, le rejet progressif du communisme, à la suite du printemps de Prague, l’échec de la politique d’économie socialiste en 1986 et l’effondrement du monde ouvrier, ont mené à la perte d’une vraie valeur fédératrice de la gauche. La lutte des classes était morte, il fallait en trouver une autre.
De plus, les « sixties », qui virent l’essor de la société de consommation, furent également accompagnées de catastrophes environnementales d’un genre nouveau avec, par exemple, la toute première marée noire en 1967 (Torrey Canyon) (1). Ces catastrophes ont mis en avant l'ampleur de l’enjeu que représente la préservation de l’environnement si bien que l’écologie est devenue matrice. Dès lors chacun, à gauche du moins, fut d’accord pour considérer que pour envisager un monde plus juste, encore faut-il qu’il y ait un monde.
La transformation de l’impératif catégorique kantien (idée que l’action doit être guidée par la volonté de l’ériger en « loi universelle ») en impératif d’existence jonassien (interdiction de sacrifier l’humanité) (2) apparut rapidement comme une justification suffisante pour ériger l’écologie comme lutte universelle au nom des peuples. De plus, on s’aperçut rapidement que l’impératif environnemental exigeait une réorganisation totale de l’économie basée sur l’idée de partage, faisant de l’écologie et du social deux thèmes indissociables si bien que Thomas Legrand dira : « Le nouveau ciment d’une nouvelle gauche est là ! »
Cependant, un problème apparaît assez vite quant à ce raisonnement. L’écologie apparaît comme nécessité électorale et non réalité idéologique. Ce que certains appellent « écologie des pandas » ou l’idée d’écologie consensuelle tout en questionnant le fait de savoir qui pourrait bien souhaiter “la destruction de la planète” ? Cela nous amène à une distinction majeure de cet exposé, sinon le point le plus important, celui de différencier l’écologie et l’environnementalisme.
En effet, le slogan: « il faut sauver la nature » ne vient pas de l’écologie, c’est un slogan environnementaliste, dérivant de l’idée qu’il faut sauver le monde naturel.
Au contraire, formé des mots grecs oikos (la maison) et logos (la science), le néologisme “écologie”, né en 1866 sous la plume du philosophe et biologiste allemand Ernst Haeckel appelle à une science de la maison. Il s’agit avant tout de mieux comprendre et donc de mieux préserver notre lieu de vie. L’idée n’est plus de sauver la nature (à comprendre comme ce qui existe sans l’homme) mais bien de sauver l’oikos: « notre maison » qui brûle, comme l’a dit le président Chirac. Les mesures environnementalistes les plus médiatisées ne visent pas à changer radicalement la société ni son modèle économique, mais à les orienter dans une direction légèrement différente, plus “respectueuse de l’environnement”, un verdissement” du système capitaliste et néolibéral dans un objectif de communication.
Puisqu’il est ici question de médiatisation, observons un cas particulièrement médiatisé : le cas de Nicolas Hulot. En effet, l’ancien présentateur d’Ushuaïa fut choisi par le président Macron en grande partie du fait de son ampleur médiatique et de son souci de la préservation de la nature. Le présentateur incarnait en effet une belle vision, celle d'un monde préservé, n'ayant pas subi les affres causées par l'homme. Cependant, après sa propre transition d’environnementaliste à écologiste au début des années 2 000, postant même en 2007 sur son blog un message: « 9 Français sur 10 estiment nécessaire de changer profondément de politique pour faire face au risque écologique (écologie), 52 % souhaitent que la protection de l’environnement soit parmi les objectifs prioritaires du futur président (environnementaliste)”, faisant lui-même la distinction majeure entre écologie et environnementaliste. Nicolas Hulot devient alors un partisan d'une société de sobriété et comprend, au bout d’un an de service, l’inertie et le manque de motivation de l’action gouvernementale et l’inaction de la promesse écologique de façade.
Mais alors se pose une question de taille : est-ce renier la science d’associer l’écologie à un courant ? En posant l’écologie comme un enjeu majeur, la thématique devient une stratégie électorale, qu’on soit en faveur comme Macron ou Alexandria Ocasio-Cortez et son green new deal,… ou contre comme Trump, Bolsonaro ou Poutine. Cependant, en faisant de l'écologie une stratégie, on finit par se priver d'une marge d'action. A l’image de Louis Philippe et de sa vague libérale qui se transforme dans les années 1830 en une monarchie de plus en plus autoritaire, la stratégie électorale n’amène pas nécessairement l’action. D’ailleurs, les études ne montrent aucune action décisive à l’exception de grands discours (3). Les rapports sont de plus en plus alarmistes et désormais un changement, du moins une réformation en profondeur de système semble s'imposer car la société court à la catastrophe.
Le changement de système, un programme récurrent, peu importe le pays, depuis les Lumières. Or depuis la nuit des temps, les plus fervents défenseurs d’un changement de système sont les jeunes et les révolutionnaires, ceux qui n’arrivent pas ou ne veulent pas se faire une place dans le jeu partisan. Le changement de système ne peut pas être promu par ceux qu’on qualifie de « conservateurs » qui sont par définition opposés au progressisme. Cependant, à l’image du mouvement des gilets jaunes, un mouvement qui se structure mal, n’agit pas, ou mal. Une révolution, même écologique, ne se gagne jamais par les urnes. En effet personne ne veut remettre en cause sa liberté, c’est-à-dire selon Benjamin Constant, sa propriété, pour le bien commun.
D’ailleurs, dans les premiers temps de l’URSS, à l’époque où cette dernière se considérait encore comme révolutionnaire, les premières idées écologistes ont fait leurs apparition avec Vladimir Vernadski, un des pères de l'écologie et inventeur du concept de biosphère qui pense la Terre comme un « organisme vivant » et non plus comme une matière inerte à la disposition des humains et de leur activité économique ou Baranoff qui a développé, dès 1925, la notion de bioéconomie ou encore Nicholas Georgescu-Roegan, considéré comme le père des courants de la décroissance.
Dans un monde qui n'a plus rien de révolutionnaire, l’écologie arrivera t-elle, après une première remise en cause du régime actuel de l’occident, à le changer? En tout cas, comme on a pu le voir pendant la multiplication des marches, des tribunes, des mouvements altermondialistes, des groupes de réflexions écologistes, l’écologie a permis à la jeunesse et à la gauche de retrouver un esprit de révolte, un Grand Soir écologiste. Mais alors la question est la même qu’au XIXe, notre société est elle prête à accepter une modification radicale de son fonctionnement?
Nikolas Keckhut
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