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  • Nikolas Keckhut

Guerre des ondes en Biélorussie, quand les biélorusses parlent aux biélorusses


Un grand merci à Madame Olga Gille-Belova, Maître de Conférences au Département d'Etudes Slaves de l'Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 de nous avoir accordé une interview passionnante .


La Biélorussie, petit pays peu connu d’Europe orientale, classé 157e sur 180 selon l’index de la liberté de la presse de reporter sans frontière de 2016, sur la liste des pays les plus répressifs au monde selon Freedom House est depuis l’élection présidentielle de 2020 en ébullition. En effet, l’ancienne république socialiste est gouvernée depuis 1994 par Alexandre Loukachenko, qui, par des référendums et des réélections à réussi à se maintenir à la tête de l'État. Cependant, en 2020, les résultats officiels de l’élection présidentielle, qui ont attribué 80% des voix à Alexandre Loukachenko, commencèrent à être contestés alors que les preuves de falsifications massives s’accumulent et que le mécontentement s’exprime à travers toutes les couches de la société. La répression massive, démarrée au lendemain du scrutin du 9 août n’a pas amélioré la situation : «Nous vous avertissons très sérieusement: en cas de violation de l’ordre dans ces endroits [référence aux lieux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale], vous n’aurez plus affaire à la police, mais à l’armée», a déclaré Andreï Ravkov, Secrétaire d'État du Conseil de sécurité du Bélarus.


Manifestation à Minsk contre Alexandre Loukachenko, le dimanche 6 septembre 2020, AP

En effet, ce petit pays de 9 millions d'habitants est également un pays contrôlant de manière ferme les chaînes d’information et les médias. Comme nous l’explique Olga Gille-Belova, Maître de Conférences au Département d'Etudes Slaves de l'Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, la tradition soviétique de la censure, levée sous Gorbatchev, fut remise au goût du jour par Loukachenko. Tout d’abord, la télévision d'État, dirigée par l’agence télégraphique biélorusse, est loin d’être décrite comme un journalisme libre et indépendant. Lorsque Benoît Chaumont, dans son reportage « Dictature Tour », interview à ONT News le rédacteur en chef, celui-ci affirme clairement « Non, on ne peut pas critiquer Lukashenko, de toute façon, nos téléspectateurs n’attendent pas de critique de notre part, ils savent ». L’analyste politique Peter Kuznetsoff, commentait à ce propos que « le journalisme indépendant dans la Biélorussie d’aujourd’hui est devenu l’une des professions les plus héroïques »

Cependant, la Biélorussie, bien qu’indépendante et souveraine, voit de la part de la Russie une forte immixtion dans sa gestion des médias. En effet, après les manifestations de 2020, de nombreux journalistes ont démissionné en signe de protestation. Suite à cela, les chaînes publiques, qui se sont retrouvées sans une partie de leurs journalistes, ont accueilli des équipes envoyées par la télévision russe de Russia Today pour remplacer les grévistes à la télévision nationale. De plus, la rediffusion de chaînes russes est monnaie courante ce qui conduit à la mise en place d’une propagande pro-russe sur le territoire biélorusse avec, par exemple, des portraits négatifs du Maïdan, la révolution pro-européenne d’Ukraine, porté par les chaînes russes. Comme l’explique Andreï Yeliseyeu, directeur du centre de recherche EAST à Varsovie, « On observe un alignement des récits de la TV biélorusse sur ceux de la Russie ».


Logo de Belsat

Cependant, la télévision publique biélorusse est bien peu regardée. En effet, selon Olga Gille-Belova, en comparaison avec la Russie, la proportion d’utilisateurs de médias alternatifs est très importante en Biélorussie. L’exemple le plus parlant de média alternatif biélorusse est Belsat. Avec 80 employés en Pologne et 120 contributeurs en Biélorussie, cette chaîne de télé diffusant depuis la Pologne se veut un vecteur de promotion de la démocratie dans le pays avec plusieurs émissions présentant l’Union Européenne, comme nous l’explique Olga Gille-Belova. Belsat se trouve également avoir son équivalent radio, la radio européenne pour la Biélorussie, créée au mois de septembre 2005 à Varsovie.


Cependant, ces différentes chaînes ne sont pas seulement localisées en Europe, elles sont également un vecteur de propagande de la part de l’Union Européenne. Par exemple, Belsat, qui n’hésite pas à présenter dans sa liste de valeur les « racines européennes de la Biélorussie », est financée en grande partie par des subventions européennes et est co-financée par le ministère des affaires étrangère polonais. En effet, le 20 janvier 2011, le Parlement européen a invité la commission à soutenir, « par tout moyen financier et politique, les efforts déployés par la société civile biélorusse, les médias indépendants (y compris Belsat, Radio européenne pour la Biélorussie, Radio Racyja et d'autres), et les organisations non gouvernementales du pays afin de favoriser la démocratie et de s'opposer au régime ». Il est important de noter qu’un soutien mineur de la part des États Unis fut présent avec la signature en janvier 2012 du “Belarus Democracy and Human Rights Act” par le président Obama, envisageant un soutien des médias électroniques en langue biélorusse, notamment Belsat. Cependant, c’est bien l’Union Européenne qui permet à ces médias d’exister, aussi bien Belsat que la « European Radio for Belarus », bénéficiaire également de subsides européens.

Exemple de sondage diffusé par Belsat
Logo de l'euroradio

Comme on peut s’en douter, la réaction de l'État biélorusse face à ces médias fut sévère. En effet, en 2010: Julia Slutzkaya, directrice de l’Euroradio fut forcée de quitter le pays, au printemps 2017, des journalistes de Belsat furent été arrêtés en grand nombre pour « production illégale et distribution de médias, désobéissance à la police, actes conduisant au désordre, participation à des manifestations non-autorisées ». Enfin, en 2020, le site internet de l’Euroradio fut soumis à une attaque DDoS.


Cette opposition entre médias officiels et médias diffusant de l’étranger constituent pour Olga Gille-Belova une « nouvelle guerre informationnelle », c’est à dire l’opposition entre une couverture médiatique plus offensive où l’on tente de moderniser l’image d’un pouvoir autoritaire en déclin, en application de ce qui existe déjà en Russie. Une opposition entre deux blocs qui n’hésitent pas à utiliser la propagande pour convaincre les populations.


Image diffusée via "Nexta"

Cependant, les manifestations de l’été 2020 ont vu émerger une autre forme de communication politique, les chaînes « Telegram ». En effet, du 9 au 12 août 2020, Internet fut coupé. Les opposants à la réélection de Lukashenko s'intéressent alors à un moyen de communication déjà utilisé en Iran et au Cashemir, c’est à dire informer via des chaînes « Telegram », alimentées par des blogueurs qui se trouvent en Pologne ou en Lituanie. L’exemple le plus flagrant est celui de Nexta, ayant compté 2 million d’abonnés dans un pays de 9 millions et demi d’habitants. Comme l’explique Franak Viačorka, journaliste biélorusse, consultant pour l'Agence américaine pour les médias mondiaux : « Aujourd’hui, ce qui réunit tous les protestataires, ce ne sont ni des partis, ni des leaders politiques, ni des organisations traditionnelles. Ce sont des chaînes Telegram qui assurent la coordination du mouvement. Les leaders politiques de l’opposition ont besoin de Telegram, sans lequel ils ne peuvent ni informer ni impacter la population. Ils en ont besoin pour communiquer, lever des fonds, contacter les médias traditionnels ». Le 25 août, Telegram a officiellement prit parti pour la cause des manifestants en ajoutant à son application un nouvel émoticône avec le drapeau blanc et rouge, étendard de la révolution.

Ces chaînes prirent une telle ampleur que le ministère des affaires étrangère biélorusse demanda en novembre 2020 l’extradition des deux fondateurs de Nexta.




Article par Nikolas Keckhut

Propos recueillis par Nikolas Keckhut et Anaïs Chauvet


Pour aller plus loin:

-The Telegram Revolution in Belarus, Oslo Freedom Forum 2020: (table ronde en Anglais): https://youtu.be/ezVPVZKCZbs

-Article de Madame Olga Gille-Belova sur la situation générale en Biélorussie: https://theconversation.com/bielorussie-quelle-issue-au-bras-de-fer-entre-le-regime-et-le-mouvement-contestataire-146620

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