Le mardi 22 avril 2020, le cours du pétrole a baissé de 300% pour atteindre un prix négatif de -38$ aux Etats-Unis. Cet événement inédit s’explique par une raison très simple, les courtiers du West Texas Intermediate (WTI), un type de pétrole brut utilisé comme standard dans la fixation du prix du baril, achètent en début de mois des contrats qu'ils revendent ensuite, empochant la différence de prix. Cependant, les contrats passés en début de mois se traduisent à la fin du mois (soit le 22 avril pour l'échéance de mai) par la livraison physique du pétrole. Or les réserves des courtiers n’ont pas la capacité de recevoir le pétrole, les réserves étant déjà pleines de tout le pétrole invendu à cause des déplacements en baisse dans ce contexte de crise sanitaire. Les détenteurs de ces contrats se sont alors précipités pour vendre le pétrole déjà dans les stocks avant l'échéance, quel qu'en soit le prix. Le cours du brut WTI s'est alors effondré jusqu'à devenir négatif, ce qui signifie que les possesseurs de pétrole étaient prêts à payer pour qu'on leur achète ce dernier. La baisse de la production (9,7 millions de barils par jour) décidée par l'Opep (Organisation des pays producteurs de pétrole) est en effet inférieure à la chute de la demande (20 %, soit 23 millions de barils par jour). En effet, « il est très difficile pour un producteur de réduire, et encore plus d'arrêter, un puits pétrolier », selon Hervé Goulletquer pour Le Point.
Cependant cette chute du prix du pétrole a des conséquences bien plus importantes que la faillite des courtiers. Premièrement, cela concerne l’Amérique elle-même. En effet, une large partie de la campagne et de la politique de Trump repose sur l’autosuffisance du pays en pétrole de schiste. L’effondrement des cours et l’absence d’exportation conduit à une remise en cause de la confiance accordée à la politique du président, déjà soumis à une forte pression devant l’échéance de son éventuelle réélection. Trump joue gros et il le sait. Aussi, Donald Trump a "ordonné" à son administration d'élaborer un plan de soutien à l'industrie pétrolière et gazière américaine. "Nous ne laisserons jamais tomber la grande Industrie pétrolière et gazière américaine. J'ai ordonné au secrétaire à l'Énergie et au secrétaire au Trésor d'élaborer un plan qui mettra des fonds à disposition pour que ces entreprises et ces emplois très importants soit garantis à très long terme", a tweeté le président américain. Cette aide massive accordée aux producteurs ainsi que le plan d'aide aux PME en difficulté à cause de la crise du Covid-19 de 350 milliards de dollars, qui devrait être rallongé de 450 milliards de dollars, fait penser aux plans des Etats providence européens dans un pays où même la sécurité sociale est débattue.
Une deuxième conséquence majeure en géopolitique est l’aggravation de la crise dans les pays en voie de développement notamment ceux d'Afrique de l’Ouest. Alors que l’effondrement du cours du pétrole en 1985 a été l’un des facteurs déterminants de l’effondrement de l’Union soviétique, aujourd’hui la Russie tient bon. Cependant, cela n’est pas le cas de tous les pays exportateurs. Il faut bien entendu penser au Vénézuela, qui subissait déjà une inflation de 10 000 % en 2019 en plus d’une crise politique d’envergure ou encore à la Libye, en guerre civile depuis 2014. En Iran, après avoir dénoncé l’accord sur le nucléaire, le président Donald Trump a de nouveau imposé un embargo sur le pétrole iranien qui a totalement isolé le pays. L’absence de revenus du pétrole aggrave encore la situation et alimente une colère déjà présente depuis la répression terrible des manifestations contre la hausse du prix des carburants en novembre dernier et la gestion catastrophique du Covid-19.
A la fin du mois de mars déjà, une note de la diplomatie française qui a fuité s’inquiétait du risque d’effondrement de certains Etats africains à cause de la pandémie du Covid-19. La note émanant du Centre d’analyse et prospective stratégique (CAPS), diffusée le 24 mars : «Effet Pangolin, la tempête qui vient en Afrique ?» listait les pays du Sahel mais aussi les Etats pétroliers francophones d’Afrique centrale: le Cameroun, le Gabon et le Congo-Brazzaville. Ces pays ne sont pas comptés parmi les principaux producteurs mondiaux du pétrole mais la rente pétrolière permet à ces régimes vieillissants de se maintenir au pouvoir. Le Nigeria, en prise avec une double rébellion, dans le nord face à Boko Haram et dans le delta du sud, a également constaté une baisse de ses revenus. En effet, il est le premier producteur de pétrole du continent et cette ressource représente un tiers de son PIB. La conjonction des facteurs politiques, sécuritaires, économiques et financiers pourrait plonger le « géant de l’Afrique » dans le chaos. Pour une région déjà en proie à l’épidémie d’Ebola (Sierra Leone, Liberia et Guinée), aux troubles politiques (Burkina Faso) et aux états défaillants ou enclavés (Mali, République centrafricaine), cela n’augure rien de bon.
Certains pays tireront néanmoins des avantages de cette crise à commencer par l’Inde. En effet, la « plus grande démocratie du monde » importe plus de 80% de ses ressources énergétiques. D’après les données du ministère indien du Commerce, la facture d'importation de pétrole de ce pays entre avril et décembre était de 95,69 milliards de dollars, soit près de 12% de moins qu'il y a un an. La Chine, quant à elle, possède de grandes zones de stockage en hydrocarbures et en profite pour remplir ces réserves à bas prix à un moment crucial de redémarrage de son économie.
Cet effondrement du prix du pétrole s'impose donc comme une preuve supplémentaire que la crise du Covid-19 dépasse la simple dimension sanitaire. De nombreux pays vont connaître des bouleversements dans les domaines politiques, sociaux et économiques et les premiers semblent déjà apparaître.
La question qui aujourd'hui se pose est celle de savoir si ces États seront capables de survivre à la crise ou si nous serons les témoins d’une nouvelle vague d’États faillis...
Nikolas Keckhut
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