Si vous pensiez ne jamais pouvoir retourner en Russie soviétique, il serait judicieux de vous rendre en Moldavie, petit pays à l’est de l’Europe et de mettre le cap à l’est. Une fois sur la rive orientale du Dniestr, vous serez théoriquement dans une région autonome de la république de Moldavie. Cependant, en voyant flotter des drapeaux arborants la faucille et le marteau sur fond rouge et vert, vous comprendrez que vous vous trouvez désormais dans la République moldave du Dniestr, aussi appelée Transnistrie.
En effet, ce pays, possédant sa propre monnaie, son drapeau, son hymne, son propre gouvernement, ses trois chaînes de télévision nationale, et surtout sa propre armée, est, de facto, indépendant de la Moldavie depuis la chute de l’URSS en 1991. Il est d’ailleurs resté dans l’état d’esprit de l’époque, comme en témoigne l’imposante statue de Lénine devant le Soviet Suprême, parlement de Tiraspol, la capitale. D’ailleurs, Maxim, citoyen de Transnistrie depuis 30 ans contacté par Instant Philéas l’affirme : « en Transnistrie, tous les habitants croient que nous sommes un État à part entière. Nous avons une constitution et une monnaie! ». Cependant, cet État est assez différent de son voisin moldave sur plus d’aspects que la simple mémoire du soviétisme. En effet, le Dniestr qui les sépare (cf. carte), et qui marque une première division géographique, sert également de barrière linguistique entre les deux pays. La Moldavie est en effet à majorité roumanophone et la Transnistrie à 63 % russophone. Cependant, pour Maxim, il serait absurde de diviser la population simplement sur des questions de langue car la Transnistrie est « un pays multinational où il n'y a pas de purs Russes ou de purs Moldaves. Il n’y a donc pas d'inimitié sur une base interethnique ». Enfin, le fleuve marque une division industrielle entre les deux états, la région de Transnistrie rassemblant la majorité de l’industrie, lourde et textile ainsi que l’industrie viticole de la Moldavie.
Mais alors comment et pourquoi ces divisions existent-elles et surtout comment ces deux régions si différentes ont-elles pu se retrouver réunies au sein du même état Moldave? Il faut pour cela revenir à la fin du XVIIIe siècle. À cette époque, la Russie tsariste de Catherine II annexe la région entre le Boug et le Dniestr, incluant l’actuelle Transnistrie. Les conquêtes de l’impératrice conduisent la Russie à progresser jusqu’au fleuve Prout, incluant l’actuelle Moldavie. Cependant, la perte de la région entre le Prout et le Dniestr, soit l’actuelle Moldavie, conduit Lénine à créer en 1924 une République moldave constituée de la simple Transnistrie en prévision d’un reconquête future. Cette dernière arrive en 1940, lorsque, à la faveur du pacte germano-soviétique, la grande Moldavie est créée, réunissant Transnistrie et Moldavie au sein d’une république soviétique, pilotée par Moscou. Cependant, les divisions linguistiques de l’Etat conduisent les Soviétiques à développer l’industrie lourde, textile ainsi que le secteur viticole dans la partie orientale de l’état, en Transnistrie.
L’indépendance de la Moldavie en août 1991 conduit cette dernière à adopter le roumain comme langue officielle, heurtant la population russophone du pays, majoritaire en Transnistrie. La question d’un rattachement de la Moldavie à la Roumanie, pour des raisons linguistiques, culturelles et historiques, provoque l’indépendance de la Transnistrie en décembre 1992. La reconquête moldave du territoire séparatiste fut un échec retentissant et les Transnistriens, aidés par la 14e armée russe repoussèrent les moldaves de l’autre côté du Dniestr.
Cette indépendance de facto de la région ne lui donna pas pour autant une reconnaissance internationale. Aujourd’hui, l’État abrite une représentation permanente d’Abkhazie sur son territoire, est reconnu par le Haut-Karabagh ainsi que par l’Ossétie du Sud, abritant même un consulat de cette dernière et y construisant une ambassade de Transnistrie. Ce qui est à noter est que la reconnaissance dont bénéficie la Transnistrie provient d’Etats eux-mêmes non reconnus par la communauté internationale. Cependant, la Transnistrie peut compter sur un soutien de poids, la Russie. Cette dernière possède un consulat en Transnistrie bien qu’elle n'ait pas formellement reconnu l'indépendance de cet État.
L’influence russe est en effet déterminante pour comprendre la situation géopolitique de l’Etat séparatiste. L’aspect central de cette influence est militaire, avec le stationnement d’un contingent de mille soldats de la 14e armée russe ainsi que de vingt mille tonnes d’armement. Officiellement, cette présence militaire sert un objectif de paix dans la région, bien que l’objectif de contrer l’OTAN dans la mer noir est à peine caché. L’influence est également économique. En effet, la région vit « sous perfusion russe » (https://www.liberation.fr/auteur/2914-cordelia-bonal) avec 20 millions d’euros d’aide annuelle, soit 70% du PIB de la région. La Russie offre également le gaz au pays et subventionne les retraites. La population est également, pour sa majorité très russophile. Comme nous l’explique Maxim, « la plupart des gens soutiennent le cours du développement avec la Russie, car nous avons beaucoup en commun avec elle ». Lors d’un référendum en 2006, décidé par le 6e congrès extraordinaire des représentants au Soviet Suprême, présidé par Evgueni Chevtchouk, la population a approuvé à 97,1 % le rattachement à la Russie avec un taux de participation de 79%. Selon les observateurs de la Communauté des États Indépendants (CEI), le référendum s'est déroulé de manière libre et démocratique. Cependant, ceux de l'Union européenne et de l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) ont pointés du doigt certaines irrégularités de l’élection, le manque d'indépendance des médias et surtout l'absence de l'option moldave (le choix d'un accord avec la Moldavie, comme celui conclu par les séparatistes de Gagaouzie, n'étant pas proposé).
Cette proximité avec l’Etat russe s’explique en partie par le fait que l’Etat fait partie d’une stratégie russe. En effet, alors que la Moldavie a rejoint le partenariat oriental de l’UE mis en place en 2009 et a signé un accord de libre échange avec l’UE en 2016, la Russie craint de perdre son influence en ex-URSS face à l’UE et l’OTAN, comme ce fut le cas pour les pays baltes. Ce « partenariat oriental » mit en place par l’UE fut donc contré par l’Union Économique Eurasiatique, pro-russe, incluant le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Arménie, mais également sur un théâtre plus européen la Biélorussie. La stratégie russe afin de maintenir son influence dans la région passe également par le soutien à des mouvement indépendantistes comme au Haut-Karabagh en Azerbaïdjan en 1991, en Ossétie du Sud et en Abkhazie en Géorgie en 2008 ou en Ukraine avec le soutien au séparatisme des républiques du Donbass en 2014, la République populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk. Bien entendu la Transnistrie fait partie, avec l’annexion de la Crimée en 2014, de cette stratégie d’encerclement de l’Ukraine, que la Russie ne compte pas laisser à l’Union Européenne et plus généralement d’opposition à l’expansionnisme otanien.
Cette question de la souveraineté de la Transnistrie fut abordée à plusieurs reprises aux organisation internationales, notamment en 2018, au cours de la Résolution de l’ONU A/72/L.58 pour un retrait complet et inconditionnel des forces militaires étrangères du territoire de la République de Moldova. Cette résolution est très intéressante à commencer par les co-auteurs du projet de résolution, contenant, outre le Canada et le Royaume Unis, uniquement d’anciens états soviétiques (Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie) et plus particulièrement l’Ukraine et la Géorgie, deux Etats qui doivent directement faire face à un séparatisme encouragé par Moscou. La résolution s’appuie sur la dénonciation de l’ingérence russe : « la question de la Transnistrie relève de la compétence nationale de la République de Moldova » ainsi que la dénonciation de la « présence de troupes étrangères sur le territoire internationalement reconnu d’un État Membre sans son consentement et contre son gré », comme l’a affirmé Tudor Ulianovschi, ministre des affaires étrangères et de l’intégration européenne de la République de Moldova en 2018.
En Transnistrie, le cœur à Moscou et le portefeuille à Bruxelles
Cependant, il serait absurde de terminer cet article sans nuancer le propos. En effet, la Transnistrie semble doucement se diriger vers une politique plus centriste. En effet, la présidence d’Evgueni Chevtchouk de 2011 à 2016 et la montée en puissance du parti renouveau («Obnovlenie»), désormais majoritaire le montre bien. Cependant, c’est bien l’élimination au premier tour de l’élection présidentielle de 2011 d’Igor Smirnov, fondateur de la Transnistrie et leader du parti communiste qui en est le signe le plus visible. En effet Maxim l’avoue, « Smirnov est le premier président de la République, il a un bon leadership et des qualités oratoires, mais je ne peux pas dire qu'il soit encore le « shérif de Tiraspol » » (son ancien surnom en temps que président). Cela pourrait faire naître en Transnistrie un regain d’attention pour l’Union Européenne. En effet, alors que la Moldavie a signé un accord de libre échange avec l’UE en 2016, la Transnistrie, région considérée comme rattachée à la Moldavie par les puissances occidentales, en profite également, réduisant l’influence économique russe dans le pays. En effet, pour Maxim, « la Transnistrie ne s'est jamais disputée avec l'Union européenne, beaucoup de gens y vont pour se reposer, et parmi mon cercle d'amis, je ne connais personne qui soit contre cette dernière ». Il est intéressant de citer Olivier Tallès, journaliste à La Croix qui titrait en 2017 un article « La Transnistrie, le cœur à Moscou et le portefeuille à Bruxelles », synthétisant assez bien le partage de la région entre deux sphères d’influence, Bruxelles et Moscou. Les élections de 2020 nous diront si la Transnistrie connaîtra prochainement une évolution vers l’une de ces deux sphères en tout cas pour Maxim, « quant au politique, il est probable que les élections de 2020 ne changent rien, malheureusement, sur le plan financier, 2020 et pandémie auront et ont déjà un impact très négatif sur notre économie».
Nikolas Keckhut
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