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Antoine Bourrette

Le confinement, fossoyeur des libertés individuelles ?

Dernière mise à jour : 28 sept. 2020



“Il y a des cas où il faut mettre pour un moment un voile sur la liberté comme on cache les statues des Dieux” prônait Montesquieu. Cette réflexion à l’heure de la crise sanitaire la plus grave de l’Histoire est dans tous les esprits. En effet, la pandémie du covid-19 a affecté la devise républicaine de la France en s’attaquant notamment à l’un de ses trois piliers fondamentaux, la Liberté. Depuis le début de l’épidémie, nous avons pu observer une limitation des libertés individuelles dans différents domaines, à commencer par l’un des plus importantes aux yeux des citoyens à savoir la liberté de circulation partout sur le territoire national. Mais ce principe de liberté touche bien sûr à de nombreux autres domaines tels que la liberté d’expression, la liberté de son choix politique par le vote, la liberté des familles ou encore la liberté d'entreprendre. Autant de libertés pourtant connues et reconnues par les citoyens français mais qui furent tout au long de ce confinement en partie ou entièrement bafouées.

Selon l’article L.3131-1 du Code de la santé publique le ministre de la santé peut « en cas de menace sanitaire grave […] par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée… afin de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ». C’est dans l’esprit de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, qui établit la liberté comme le fait de « faire tout ce qui ne nuit pas autrui », que l’on peut envisager la politique du gouvernement actuel. En effet, il ne s'agit pas d'un principe qui privilégie l'individu mais d'une protection de tous. La liberté se définit avant tout comme ce qui n'est pas interdit par la Loi. Celle-ci, bien que présentée comme un droit, est surtout ce qu'il reste comme possibilité d’agir après mise en oeuvre des devoirs. Dans la logique de l’article L.3131-1, le Gouvernement a fait le choix de l’atteinte graduelle aux atteintes aux libertés individuelles, en réajustant constamment la teneur de l’atteinte à la gravité de la situation.


Ce fut d’abord à travers différentes mesures de polices administratives (arrêtés ministériels, préfectoraux et municipaux) que furent considérablement restreintes les libertés d’aller et venir et de rassemblement, en les interdisant comme dans l’Oise, zone identifiée comme cluster (zone de circulation active du virus) ou en limitant au niveau national les rassemblements à mille puis à cent personnes.


C’est véritablement dans l’annonce, faite le 16 mars par le Président de la République Emmanuel Macron, de la mise en place d’un confinement total sur l’ensemble du territoire français que cette atteinte à la liberté individuelle des Français a atteint son paroxysme. Du jour au lendemain, nous avons tous été empêchés de nous déplacer en l'absence d’une attestation, qui connut bien des mises à jour sans pour autant pouvoir répondre à tous les nécessités rencontrées par les citoyens en ces temps de crise . On peut ainsi citer la limitation importante de la liberté des familles en ce qui concerne les normes funéraires avec le décret du 1er avril interdisant notamment la toilette mortuaire, ou l’interdiction de se rendre aux enterrements au-delà de 20 personnes, compliquant la gestion du deuil dans une France particulièrement marquée par le culte des morts.


Mais cette atteinte aux libertés fondamentales s’illustre également dans le déploiement de l’application Stop Covid dont le développement s’achève à peine qu’il subit déjà le feu des critiques. Cette application de tracking, c’est-à-dire de traçage des personnes étant malades ou susceptibles de l’être, a été réfléchie depuis le 19 mars dernier avec la levée de l’interdiction sur l'échange et le traitement des informations personnelles des citoyens membres de l'Union européenne par le comité européen de protection des données (CEPD). Le comité indique en effet que « le RGPD permet aux autorités sanitaires compétentes de traiter les données personnelles dans le contexte d'une épidémie ». Cependant, le Premier ministre a repoussé toute discussion parlementaire à une date ultérieure et le ministre de la santé n’a pu assurer que cette application serait opérationnelle au 11 mai, protégeant ainsi encore provisoirement la vie privée d’une nouvelle atteinte.

Alors que le pouvoir exécutif, épaulé par un législatif soumis semble bien décidé à aller contre les libertés fondamentales, il est inquiétant de constater que le pouvoir judiciaire semble également aller dans ce sens. En effet, ces atteintes aux libertés fondamentales ont été légitimées par le Conseil constitutionnel qui est venu affirmer sa position dans une décision antérieure à la crise du 26 novembre 2010, « que la protection de la santé et de l’ordre public puisse justifier des restrictions à la liberté ».

Si comme l’affirmait Jean Jaurès « le premier des droits de l’homme est la liberté individuelle » il est donc nécessaire de se défendre des atteintes qui lui sont portés.


La Garde des sceaux, Nicole Belloubet affirmait « L’État de droit n’est pas mis en quarantaine ». Les libertés fondamentales seraient donc assurées et protégées par l’autorité judiciaire, comme le dispose l’article 64 de la Constitution de 1958. Ainsi dans cette logique devant les décisions prises, un certain nombre de syndicats ont protesté, déposant des requêtes devant les juridictions administratives et le Conseil d’État ce qui témoigne de la volonté des citoyens de garantir leurs libertés. Cependant le Conseil d’État, organe suprême de la justice administrative, a rejeté les requêtes, ce qui montre que la priorité est donnée à l'impératif de santé publique face aux libertés individuelles.

Cependant le 17 avril, le Conseil d’État s’est prononcé sur la légalité des arrêtés municipaux pris par la mairie de Sceaux imposant que le visage soit couvert dans les rues (entravant la liberté d’aller et venir et la liberté personnelle des intéressés selon la LDH). Dans sa décision, le Conseil d’État limite le pouvoir des maires dans un esprit d'état jacobin, venant au secours de la liberté individuelle et posant les jalons des futures plaintes à l’encontre des arrêtés municipaux.

La garantie des libertés individuelles appelle à s’interroger sur la protection des droits civiques du citoyen et parmi eux le droit de vote. Ce dernier fut tout d’abord préservé en permettant la tenue du premier tour des élections municipales. Mais le report au plus tard en juin du second tour des élections, déconnectant ainsi les deux tours pouvant qui plus est provoquer un changement de positionnement chez les électeurs, constitue une limitation de la liberté politique au nom de la protection sanitaire.

Enfin il est important de mentionner le droit fondamental d’accès au soin qui, en cette période de crise, est difficile à assurer du fait de la saturation des principaux hôpitaux français. À cela s’ajoute la tragique présence de « l’éthique de guerre » comme le soulignait Martin Hirsh président de l’AP-HP, ayant pour conséquence un potentiel « choix » des patients.


C’est enfin un enjeu de régime, d’idéologie que la question des libertés individuelles soulève. En effet il fut observé que la situation sanitaire fut bien mieux jugulée dans les pays au régime autoritaire pour ne pas dire dictatoriaux. On peut citer la Chine, mais aussi le Vietnam qui, par des mesures extrêmement coercitives, ont su inverser la courbe des malades. Comme le souligne Frédéric Keck spécialiste des catastrophes sanitaires « dans cet état communiste (le Vietnam) le sacrifice des libertés individuelles au nom de la protection des populations a été payant ». Un régime autocratique serait-il donc plus efficace qu’un régime démocratique ? La réponse n’est pas évidente. Il est cependant certain que les pouvoirs démocratiques doivent répondre à des injonctions paradoxales en tentant de concilier la protection sanitaire de la population et le respect de leurs libertés.

Ainsi, au moment où le temps est au consensus national dans une situation kafkaïenne, il est nécessaire de rappeler que le temps n’est pas à la critique mais à la solidarité. L'adhésion à cette vision est d’autant plus complexe quand les décisions prises par le gouvernement peuvent être considérées comme attentatoires aux libertés, et que la défense de ces dernières auprès des juridictions est difficile voir impossible.

Le déconfinement de ce 11 mai sonne la fin partielle de l’atteinte à la liberté individuelle. Mais le nombre de restrictions encore posées seront autant de marches à franchir avant de recouvrer, un jour peut être, l’ensemble de la devise républicaine.


Antoine Bourrette




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