Un algorithme plus perspicace que des électeurs, cela semble effrayant, digne de Georges Orwell, et pourtant les Etats-Unis ont réussi. Le 26 mai, le réseau social Twitter a signalé un post de Donald Trump comme étant une “fake news”, puis a censuré un autre de ses tweets quelques jours plus tard pour apologie de la violence. Cette décision historique intervient à la suite d’une politique de durcissement de l’algorithme pour éviter la désinformation, notamment à propos de la pandémie du Covid-19. En effet, jusque-là, la plateforme ne s'était jamais permis d’interférer sur des messages politiques et a donc pris le parti de laisser les messages de Donald Trump visibles, puisqu’ils pouvaient avoir un « intérêt public ». Alors que l’actuel Président américain a en partie bâti sa popularité auprès de certains milieux en se présentant comme le « diseur de vérité », cette censure publique le met face à ses propres mensonges. Après cet incident, Donald Trump a -comme à son habitude- déclaré la guerre aux réseaux sociaux, les accusant de comploter contre lui et d’être une entrave à la liberté d’expression. Cependant, derrière les caprices d’un Président, se pose un réel problème sur le rôle des réseaux sociaux. Ceux-ci sont-ils garants de la liberté d’expression ? Si oui, doivent-ils rester neutres et ne pas opérer de filtrage au nom de celle-ci ou s’engager contre certaines idées ?
Les différentes plateformes ne semblent cependant pas d’accord entre elles. En effet, alors que le locataire de la Maison Blanche menace de fermer les réseaux sociaux, et que le patron de Twitter, Jack Dorsay, affirme sa position, le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, refuse toujours de signaler les messages, essuyant de nombreuses critiques au sein même de ses équipes. Si Twitter a justifié son acte en déclarant lutter pour que la désinformation n’influence pas les électeurs. Facebook a, au contraire, déclaré qu’il « ne devrait pas être l'arbitre de la vérité de ce que les gens disent sur Internet » et qu’il pensait nécessaire de « permettre toute expression tant qu'elle n'implique pas de risque imminent ». Et sur ce point, il a raison.
En effet, aucune loi américaine n’évoque le contrôle ou la limitation des fake news. Les deux réseaux sont donc libres de signaler ou pas les tweets propageants des rumeurs. Pour cela, les chartes d’utilisation sont la référence. Ainsi, sur celle de Twitter on peut lire : « il est interdit d'utiliser les services de Twitter dans le but de manipuler des élections ou d'interférer dans des élections. Cela inclut la publication ou le partage de contenu susceptible d'empêcher les électeurs d'aller voter ou de tromper les gens sur les modalités du vote » (ajout de mai 2020). La charte de Facebook est bien moins précise et laisse donc la liberté à son entreprise de censurer ou non : « Vous ne pouvez pas utiliser nos Produits pour faire ou partager quoi que ce soit […] qui est illégal, trompeur, discriminant ou frauduleux ». Mais si par son inaction, Mark Zuckerberg affirme rester neutre, il soutient de facto la politique de Trump. En outre, le Président n’est pas journaliste, mais comme tout utilisateur, il peut écrire librement dans les réseaux sociaux. Avec ces derniers, un utilisateur acquiert potentiellement un rôle d’informateur auprès de tous les autres. Il joue ainsi un rôle similaire à celui d’un journaliste en se faisant relai de l’information mais sans avoir de grande crédibilité. En revanche, un Président ne saurait être considéré comme un utilisateur comme les autres. Il jouit ainsi, non seulement d’une grande visibilité, mais surtout, de la grande fiabilité que laisse supposer sa fonction. Les médias devraient-ils donc modérer les propos des utilisateurs différemment selon leur statut et laisser plus de place aux journalistes reconnus pour éviter la désinformation ? Cependant, si la gestion des fake news est propre à chaque plateforme, on peut se demander ce qu’il en est des messages incitants à la violence. Légalement, la liberté d’expression est évoquée dans le 1er amendement de la Constitution américaine en ces termes : « Le Congrès n'adoptera aucune loi relative à l'établissement d'une religion, ou à l'interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d'expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d'adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. ». À cette lecture, on peut donc supposer que les arguments de Mark Zuckerberg sont tout à fait valables, et qu’il n’a aucun droit à la suppression de certains messages.
Cependant, un problème apparaît. Si la liberté d’expression est primordiale et très permissive aux Etats-Unis, elle a une limite : les propos haineux incitant à la violence. En effet, si la loi autorise les propos de haine et protège, au nom du tout puissant 1er amendement, des rassemblements du Klu Klux Klan ou de suprématistes blancs, celle-ci sanctionne immédiatement les appels à la violence dans la Convention Américaine Relative aux Droits de l'Homme : « sont interdits par la loi toute propagande en faveur de la guerre, tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse, qui constituent des incitations à la violence ». En outre, la charte de Twitter interdit ces propos, « il est interdit de menacer de violence un individu ou un groupe d’individus. Faire l’apologie de la violence est aussi interdit. ». Le tweet de Donald Trump est donc, dans une moindre mesure, illégal et dans l’irrespect de la charte du réseau. Twitter est donc dans son droit le plus total pour censurer le message faisant l’apologie de la violence, et ne met aucunement en danger la liberté d’expression comme le dénonçait le Président américain.
Lou Detroyes
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