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Liban... voyage vers l’inconnu


Beyrouth, le 3 septembre 2020. La ville entière retient son souffle. Dans la rue principale du quartier dévasté de Mar Mikhaïl, une foule se masse devant une vieille bâtisse effondrée. Une équipe de sauveteurs chiliens affirme que leur chien Flash détecte deux corps, dont un pourrait être encore en vie, 1 mois après l’explosion du port de Beyrouth. Quelques heures plus tard, alors qu’il fait nuit noire, l’armée décide de suspendre les secours, et affirme attendre l’arrivée d’une grue prévue pour le lendemain matin afin de poursuivre le travail. Les riverains s’indignent et confrontent les forces de l’ordre. « C’est une âme, c’est un humain, il faut le sauver ! » crie une habitante, « Ce chien a fait bien plus que notre gouvernement depuis des années » s’exclame une autre. Finalement, sous la pression populaire, les recherches reprendront vers 3 heures du matin. Finalement, après 3 jours de recherches, l’équipe chilienne affirme n’avoir découvert aucun corps dans le bâtiment. 


Cet événement et cet espoir avorté sont témoins de la crispation et de l’attente qui règnent chez les Libanais aujourd’hui. Signe d’un peuple en errance, ce peuple, livré à lui-même, a rêvé d’un miracle qui pourra les guider à travers un avenir encore sombre. Même le déplacement du Président Macron au Pays du Cèdres, le 1er septembre, chargé de symboliques (visite de la diva Feyrouz, plantation d’un cèdre à Jaj, défilé aérien de la patrouille de France aux couleurs du pays et commémoration des 100 ans du Grand Liban) n’ont pas suffi à éclairer l’avenir de ce pays endeuillé et frappé par le sort depuis bientôt un an.

Pour rappel, le Liban est un pays du Moyen Orient, situé sur la côte est de la Méditerranée. Sa superficie est de 10 452 km2. Sa population est d’environ 6 millions d’habitants (dont près 2 millions de réfugiés palestiniens et syriens). Il se distingue par sa grande diversité confessionnelle, avec une grande communauté de chrétiens (près de 40% aujourd’hui, notamment maronites, grec-orthodoxes, grec-catholiques et arméniens) au côté des communautés musulmanes chiites, sunnites et druzes, ainsi qu’une grande et influente diaspora libanaise dispersée tout autour du monde. Son système politique est démocratique, parlementaire et confessionnel. En effet, les grands postes de l’administration et des postes politiques doivent être divisés proportionnellement aux différentes communautés. Cela a conduit à la mise en place d’une société en proie aux divisions sectaires et à l’influence des nations étrangères (France, États Unies, Turquie, Syrie, Iran, pays du Golfe…) et, entre autre, à un climat constant de tension et de conflit (la guerre civile libanaise a duré 15 ans, de 1975 à 1990).


La visite du Président français intervient en effet dans un climat toujours délicat, un mois après l’explosion qui a ébranlé Beyrouth, le 4 août 2020, à 18h07. Ce jour-là, un stock d’environ 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium entreposé depuis six ans (on estime que la quantité a diminuée avec le temps) explose dans l’entrepôt numéro 12 du port de la capitale, provoquant une énorme déflagration destructrice. Ce drame a fait près de deux cents victimes, plusieurs milliers de blessés et de sans-abris. Les beyrouthins, hébétés et traumatisés, découvrent une ville en partie en ruine. Dans la foulée, la responsabilité de l’État Libanais et de ses responsables (quasiment tous en place depuis 30 ans et soupçonnés de corruption massive) est pointée du doigt. Le président Michel Aoun ainsi que son premier ministre Hassane Diab avaient reçu des avertissements de l’administration leur rappelant la présence du nitrate d’ammonium et de sa dangerosité au moins 2 semaines avant le désastre. De même, les ministres successifs de la justice, des transports et des finances en poste depuis 2014 ont affirmé être au courant, mais se dédouanent de toutes responsabilités, affirmant avoir informés l’administration en charge et que « ce n’était pas de leur pouvoirs ».  Les appels à « monter l’échafaud » et châtier la classe politique « criminelle » sont sur toutes les lèvres. L’inaction du gouvernement, que ce soit dans les actions de sauvetage ou de déblaiement des quartiers sinistrés, ne fait qu’agrandir le fossé – ayant émergé dès le mouvement d’octobre 2019 - séparant la classe dirigeante et le peuple. Pour les contestataires, il y aura un avant et un après le 4 août 2020. Gino Raidy, un influent activiste du mouvement d’octobre, affirme sur les réseaux sociaux « depuis cet instant [de l’explosion], le règne de la Sulta (le pouvoir, en arabe) a pris fin ». « On n’oubliera pas, on ne pardonnera pas, on ne s’adaptera pas » clame la population, qui en l’honneur de toutes les victimes, compte bien en finir avec la classe dirigeante qui a conduit le pays vers la faillite. Il faut dire que la crise que traverse le Liban, sur le plan économique, financier, social et politique, est bien antérieure à l’explosion du mois d’août.

La visite express d’Emmanuel Macron, a donné une sorte de bouffée d’espoir à la population endeuillée, qui voit le jeune président français s’investir pour le Liban plus que ses propres dirigeants. Des appels à réinstaurer le mandat français (qui, pour mémoire, a duré de 1920 à 1943) ont circulé, témoignent du désespoir inédit des Libanais et des Libanaises. Le samedi 8 août « jour de vengeance », une grande manifestation s’empare de la Place des Martyrs. Le rassemblement sera émaillé de violences et de bavures policières, à coup de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc qui firent un grand nombre de blessés. Le premier ministre évoque des élections législatives anticipées pour sortir de la crise. La population, mitigée, craint que ces élections, sans une réforme de la loi électorale confessionnelle, ne servent qu’à réélire les mêmes dirigeants, puisque celle-ci est « taillée sur mesure » pour ne permettre aucun renouveau politique. Une dizaine de députés de l’opposition et des indépendants démissionnent. Des membres du Parlement ont quitté les groupes parlementaires de la majorité. Le 10 août, c’est au tour du gouvernement Diab de démissionner. S’ensuit ainsi un long mois de stagnation politique. La jeunesse et la société civile prennent les devants avec des opérations de déblaiement et de rénovation. Les sinistrés désemparés par la crise économique et l’inflation galopante qui les touchent de plein fouet depuis des mois, craignent de ne pas pouvoir réparer de leur logement. Entre temps, un état d’urgence fut décrété, renforçant les pouvoirs de l’armée et faisant craindre l’avènement d’un « état policier ». Un confinement a aussi été annoncé, pour endiguer la hausse des nouveaux cas de COVID-19 (près de cinq cents par jour), ce qui a mis en pause le mouvement de contestation. La semaine précédant la seconde visite de Macron a été émaillée de tensions sectaires et communautaires, mais qui ont fait planer un climat de crispation et de divisions religieuses. La manifestation –de quelques dizaines de militants- du Parti présidentiel le Courant patriotique libre le 31 août, « pour ne pas que la vérité ne soit pas perdue » à provoquer l’ire des activistes et des manifestants, puisque les ténors de ce parti sont impliqués dans l’affaire du nitrate d’ammonium. 

Le lendemain, une myriade de partis et de groupes d’opposition issus du mouvement d’octobre 2019 s’unissent lors d’une conférence sur la place des Martyrs pour former un front et un programme commun face à la classe politique corrompue. Mais que pourra faire la « révolution d’octobre » (ou Tharwa en arabe) qui reste encore très désorganisée, face à des milices lourdement armées tel que le Hezbollah, qui n’a pas hésité, le matin même, à saboter le lieu de la conférence, en signe de menace. Le « Parti de Dieu » comme il se nomme en arabe, se place en défenseur du régime en place. Cette milice, très proche du régime iranien, a conduit au mouvement de résistance et de libération du Liban Sud (majoritairement chiite) contre l’armée israélienne jusqu’en 2000, ce qui fait qu’elle reste encore très populaire chez une partie de la communauté chiite. Elle est alliée au chef du Parlement Nabih Berri (en poste depuis 27 ans) et le président de la république chrétien Michel Aoun (âgé de 85 ans) avec qui, elle détient la majorité au parlement. C’est cette alliance qui s’est accordée pour nommer Mustafa Adib, alors ambassadeur du Liban en Allemagne, pour diriger le nouveau gouvernement dit « de sauvetage », censé sortir le pays de la crise. Cette nomination intervient la veille de la visite de Macron. Elle est décriée par la population qui n’y voit qu’une réincarnation du précédent premier ministre, marionnette des grands leaders politiques. Le mouvement de contestation demande un gouvernement d’indépendants et de spécialistes, doté de pouvoirs législatifs exceptionnels lui permettant d’appliquer les réformes urgentes pour sortir de la crise économique et de préparer une nouvelle loi électorale en vue d’élections législatives anticipées. Une demande qui a peu de chance d’être exaucée par le pouvoir en place, car elle reviendrait à scier la branche sur lequel il prend ses aises depuis plus de 30 ans. 

La visite de Macron, le 1er et 2 septembre, a été placée sous le signe du « nouveau pacte politique » comme l’a nommé ce dernier. En effet, le président français, a proposé une feuille de route aux partis politiques -dont le Hezbollah-, listant les réformes essentielles demandées par la communauté internationale. Aux yeux d’un grand nombre de manifestants, Macron a légitimé une fois de plus la classe politique et le nouveau premier ministre, et essaye de « dealer » avec les responsables du « massacre » du 4 août. Mais quelle attitude autre que celle-ci un président étranger peut-il mener face à une classe politique « démocratiquement » élue ? La population craint que ce fameux « accord » passé entre les politiciens libanais et Emmanuel Macron ne soit qu’un traité symbolique sans réel changement de politique. Face à cette crainte, les seules perspectives pour le mouvement de contestation seront-elles les élections législatives de 2022 et la fin du mandat Aoun ? En tout cas, cela permettra -peut-être- de redistribuer -partiellement- les cartes de la scène politique libanaise. 

Il y a encore quelques jours, le jeudi 11 septembre, un gigantesque incendie s’est déclaré dans un entrepôt de la zone franche du port, à quelques mètres du lieu de l’explosion. Cela n’a fait que raviver les souvenirs douloureux et le traumatisme du 4 août. Le quartier Est de Beyrouth a été plongé dans une immense fumée noire et toxique. Une fois de plus, la négligence de l’État est décrié, Des rumeurs courent sur le fait que les autorités auraient cherché à maquiller la scène de l’explosion d'août. Le samedi suivant, une manifestation autour du palais présidentiel de Baabda a mis face à face les partisans du président Aoun et les “révolutionnaires” anti-gouvernementaux. L’armée libanaise a tiré à balle réelle en l’air pour repousser les contestataires.

Cette révolution tente de se faire une place entre l’alliance dite du 8-Mars, menée par le Hezbollah ainsi que le parti aouniste, et le parti des Forces Libanaises et celui des Kataeb (« les Phalanges libanaises »). Ces anciennes milices chrétiennes datant la guerre civile, ont longtemps occupé des postes à responsabilité par le passé. Elles sont menées par l’ex-chef de guerre Samir Geagea pour les Forces Libanaises et le clan des Gemayel pour les Kataeb, ce dernier ayant donné au Liban deux présidents de la république dans les années 80 (les frères Amine et Bachir Gemayel). Ce duo, malgré son passé controversé, se réclame de « la vraie révolution » et se dit opposé à la corruption. Cette tentative d’instrumentaliser la colère populaire est vue d’un très mauvais œil par les manifestants, qui ne fait que diviser les contestataires et freine le mouvement. Ils considèrent ces deux formations politiques comme tout aussi responsables de la situation actuelle et tout autant corrompus, au nom du slogan de la révolte, « tous, ça veut dire, tous » (Kellon yaani Kellon). Entre temps, la société libanaise sombre dans la pauvreté. L’ensemble des jeunes et des moins jeunes perdent tout espoir, et n’ont pour seul horizon que l’émigration. Mais sans jeunesse, qui pourra mener « la révolution » et incarner le renouveau politique ?


Mathieu B.

Illustration de Rebecca Bonef



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